Conversation d'atouts, Bérenger et Tristan

Le verso des atouts ne rappelle rien à Tristan. Au mieux, le choix des couleurs et des motifs lui rappelle le style plutôt académique que l'on peut trouver en Ambre.

Bénédict écoute son neveu. Il a toujours cette agréable habitude de grogner quand une idée ne lui convient pas.
- Pour mener la guerre politique et religieuse, tu dois t'assurer d'avoir toutes les cartes en main. Rencontrer Suhuy est une bonne idée. As-tu pensé à Dworkin ? Il hoche ensuite la tête à la proposition de faire intervenir le cousin de Tristan.

L'évocation du commando est elle associée à un grognement.
- Trop risqué. Il y aura de nouvelles défenses et pièges. La présence d'Orion et de ma sœur représentent trop d'inconnues.

Le jeune duc remise l'idée d'une invasion de la demeure des Euryales par une horde de Dodécapodes.  Dommage. Rien que l'idée de nuire à Cassandre,  ne serait-ce qu'en saccageant ses meubles,  le comblait d'aise.

Il sort son jeu d'atouts et cherche la carte de Senestrane. Avant d'appeler celui-ci, il répond à son oncle. Comme Bénédict fait preuve d'un laconisme frustrant,  Tristan meuble la conversation en bavardant. La fatigue le conduit à en dire un peu trop.

- "Je n'ai jamais rencontré Dworkin et ne dispose pas d'atout de... mon aïeul. J'avoue éprouver une certaine appréhension à l'idée de côtoyer l'homme qui a mutilé le Serpent et inventé la Marelle. Vous devez me trouver ridicule, mais j'ai grandi dans des Cours traumatisés par la défaite contre Ambre. Certains chaosiens ont même  construit des chapelles pour honorer les demi-dieux destructeurs venus de l'autre côté de la réalité, les descendants de la Licorne... Si Bérenger a un complexe de supériorité, j'ai plutôt l'inverse. J'ai même été terrifié lors de ma première rencontre avec le Grand Veneur... mon oncle Julian. Bien sûr, discuter de tout ceci avec le dieu de la guerre n'a pas grand sens, n'est-ce-pas ?"

Il met la main sur l'atout de son cousin du Chaos.

- "Ceci dit, Bérenger paraît disposer d'un vieux jeu... Peut-être l'un de ceux confisqués par son père. Ou alors il l'a dérobé à quelqu'un. Connaissez-vous le dessinateur,  d'ailleurs ?  S'il a l'atout de Dworkin... Celui-ci traîne peut-être dans les parages,  le ou la métamorphe sentant trop la Marelle qui a manipulé... qui a incité ma chère cousine Lystrella à vous libérer pourrait être votre grand-père."

Sans contre-indication il fait venir Senestrane.

Bénédict soupire en entendant Tristan, et fait preuve d'un peu d'empathie :
- Il est vrai que certains d'entre nous sont âgés, beaucoup même, et que l'éducation que nous avons reçue nous a poussé à nous dépasser, mais nous ne sommes pas des dieux. Les événements récents prouvent que nous ne connaissons pas, n'imaginons pas même, nos ennemis. Sans compter les cas où l'ennemi était en notre sein.

A ces mots, il scrute Bérenger :
- D'ailleurs, les atouts que tu utilises sont ceux de Brand, un de ses vieux jeux. Comment les as-tu trouvé ?

Brand, bien sûr. Un des artistes les plus célèbres. Il doit y avoir un certain nombre de ses jeux en circulation. Distrait, Tristan laisse échapper quelques mots.

- "Il l'aura volé dans les réserves. Ou trouvé dans l'Abysse."

Tristan appelle Senestrane, sans se poser plus de questions.

Bérenger range l'atout de Delwin. Il réfléchit intensément un bref instant, puis regarde Bénédict en désignant son paquet de cartes. Il prononce quelques mots d'un ton sérieux, loin de sa nonchalance habituelle.

- Don de Brand pour l'avoir sorti de l'Abysse.

Précis, pointu, affûté. Sharp.

Sur ces paroles, le cousin de Tristan arrive (je le laisse poster son atout).

Bénédict fixe Bérenger :
- Raconte. Tout.

Bérenger soutient le regard de son oncle.

- La jeune génération ambrienne a été attaquée par des créatures causant d'épouvantables blessures en annulant la réalité. Après enquête, durant laquelle Emetrios a disparu, le coupable a été identifié : Jhammthel.

Il s'agit d'un Feynim, antique race de puissants sorciers ayant créé les Aiguilliers et banni dans l'Abysse par Obéron et Dworkin. La chute de Deirdre et Brand, l'incursion de la Licorne pour récupérer le Joyau du Jugement, ont créé une brèche dans leur prison, qui a permis bien plus tard à Jhammthel de s'échapper avec Deirdre. Son but est de retrouver les Aiguilliers, sources inépuisables d'énergie, et de détruire Ambre, afin de libérer son peuple et de retrouver leur puissance de jadis, avant le tracé de la Marelle.

En essayant de retrouver Emetrios, je suis arrivé dans une ombre en train de sombrer dans un abîme. J'ai pris le risque de sauter. Après m'être remis de ma chute, j'ai découvert que je me trouvais dans une poche de réalité ceinte dans l'Abysse : la prison sus-mentionnée. J'ai utilisé la magie pour détecter une infime trace de vie. J'ai remonté la piste, tout en me rendant compte que ce lieu absorbait peu à peu mon énergie et ma réalité. Je suis tombé sur Brand, ou plutôt son fantôme : son essence était si ténue que je pouvais littéralement voir à travers. Il était sur le point de mourir, ayant dépensé ses dernières forces pour quitter sa cellule et semer ses gardiens, profitant sans doute des dégâts causés par l'évasion de Jhammthel et Deirdre.

Quelles que soient ses actions passées, je ne pouvais laisser mon oncle mourir, alors que Martin et Deirdre avaient survécu. Je l'ai traîné jusqu'à trouver la brèche, tout en haut dans le ciel. J'ai réussi à nous extraire de là non sans mal.

La suite a peu d'importance, Brand se remet bien de ses blessures, il m'a fourni ce jeu d'atout et des éléments précieux sur les Feynims. Puis j'ai continué mon enquête jusqu'à arriver ici.

Bénédict reste impassible.
- Prévenez Random. C'est à lui de décider.

Sénestrane pose son regard sur les membres de l'assemblée. Il évite soigneusement de prendre la parole, tout à fait conscient d'arriver à un moment délicat, typiquement ambrien.

L'oncle reprend la parole.
- J'ai déjà entendu ce terme. Mais Père a toujours présenté ça comme un mythe...

Tristan tente de se reprendre.

- "Mon père est loin. Si mon agenda se libère, j'irai le voir le plus rapidement possible. D'où sortent tes nouvelles informations sur... les congénères de Jhammthel, Bérenger ?  D'oncle Delwin ?  Hum... Je... Je manque à tous mes devoirs. Senestrane,  je te présente mon oncle Bénédict et mon cousin Bérenger. Bénédict, Bérenger, je vous présente mon cousin Senestrane. Mon meilleur ami par ici. Il nous a déjà appris qu'Orion n'a pas parcouru les cavernes du Logrus.

Je me demande si les Feynims peuvent invoquer le Logrus dans le corps d'un homme..."

- Il pourrait être intéressant d'amnistier Brand contre une aide de Kafsha dans le conflit entre Ambre et le Cercle d'Or. A moins que vous préfériez Florimel sur le trône. Quitte à prévenir Random, autant ajouter qu'il a peut-être hérité de l'Aiguillier d'Obéron : l'anneau royal. Malheureusement, d'après Delwin, il faut se débarrasser de ces artefacts. Ils manipuleraient leurs porteurs au bénéfice des Feynims. Je rajoute que mon père en aurait plusieurs. Je vous laisse conclure.

Sur un tout autre sujet, Fiona étant fort fâchée contre moi, et pouvant être accusé de trahison pour l'aide apportée à Brand, je demande officiellement l'asile politique à la noble famille des Zeydon.

Tristan a le vertige.

- "Mon père serait manipulé par l'ennemi ? Et Merlin aussi ? Alors que je viens de plaider sa cause auprès de ma Maison ? Je... suis sans voix..."

- Heu, cela paraît plus insidieux, plus subtil, comme manipulation. L'utilisation entraîne une forte accoutumance, et augmente le désir de convoitise. Cela ressemble fort à une drogue dure qui nécessiterait une longue et pénible désintoxication.

Et sinon, pour l'asile politique, c'est bon ?

Tristan passe la main sur son visage, comme s'il devait remettre en place yeux, nez et mâchoire.

- "Seule la Duchesse pourra te l'accorder. Mais je ne suis pas sûr qu'elle ait apprécié ta manière de présenter des excuses. Enfin, tu ne seras pas à la rue. Je pourrai t'accorder l'hospitalité, au pire. Bref. Concentrons-nous sur le plus urgent. Démasquer Orion. Traquer Jhammthel. Senestrane ? Je t'ai fais venir. J'espère ne pas t'avoir traumatisé avec nos histoires d'Ambriens. Tu confirmes donc qu'Orion ne s'est pas présenté face à Suhuy ?"

Senestrane a fait tous les efforts du monde pour rester impassible.
- Oui je peux te le confirmer. Orion n'a jamais franchi le Logrus, ou alors en toute discrétion, ce qui est hautement improbable. J'en ai profité pour poser des question sur Lord Suhuy. Il n'a pas été vu depuis la Punition. Dara a éconduit toutes les personnes qui demandaient à le rencontrer, et ils ont été nombreux. Cela jase beaucoup dans les grandes familles qui n'ont pas l'habitude d'être traitées de la sorte.

Tristan réalise que son cousin emploie le mot Punition pour qualifier la panne du Logrus. Il en a presque entendu la majuscule.

Bénédict a écouté avec attention :
- Dara doit avoir une raison impérieuse. Ces refus font le jeu de ses ennemis. La situation de Merlin me parait compromise.

Tristan jette un regard en coin à son oncle.

- "Je crois que Merlin fait un meilleur empereur qu'Orion. Deirdre et ses enfants sont irrémédiablement fous, malsains, instables, dangereux et... la liste entière serait trop longue. Mais avant de les rencontrer, le doute était permis. Merlin se comporte comme un gosse plus capricieux que Bérenger et oublie ses responsabilités en tant qu'empereur, au profit de ses proches d'Ambre ou du Cercle d'Or. J'avais donc de très bonnes raisons de négocier une trêve voire un rapprochement avec les Euryales. Votre sauvetage imprévu et les manigances d'une tierce faction non identifiée ont tout fait capoter. Par les couilles du Serpent et les mamelles de la Licorne !  Si je pouvais désigner un autre empereur, Despil ou Jurt par exemple, je le ferais. Enfin, Despil plutôt que Jurt, je ne suis pas aussi désespéré. Ou la Duchesse, pourquoi pas, les Zeydon valent bien les Sawall. Bref..."

Il se retourne vers Senestrane.

- "Je parlerai d'une ARNAQUE plutôt que d'une Punition. Une arnaque aux proportions divines, fatale à bien trop de chaosiens, mais une arnaque tout de même. "

- Mandor et Dara tiennent bien la baraque, ne disqualifie pas la famille Sawall. Ceci dit, Merlin et Orion étant à moitié ambrien, ils font match nul en terme de légitimité. Une autre prétendante, aux origines 100% chaosienne, pourrait s'immiscer dans ce duel.

- Mais le postérieur sur le trône du Chaos n'est pas mon problème. Je réfléchis à une nouvelle prison pour les Feynims. J'ai déjoué récemment une tentative intéressante, bien qu'un peu puérile, dont on pourrait s'inspirer. A ce propos, avez-vous des renseignements sur une pierre capable de conserver l'énergie de la Marelle ?

Tristan hésite.

- "Ça me rappelle un peu l'hôpital de Fiona... En moins technologique et en plus minéral. Ou alors... Hum... Emetrios m'avait raconté que Nora, la fille de Llewella, avait isolé l'épée de Cassandre avec un cercle de pierres bleues. Tu sais, l'arme qui t'avait possédé ? Enfin, plutôt l'esprit qui se cachait à l'intérieur. Bref, les pierres ont formé une sorte de cercle de protection, qui a emprisonné l'esprit. Ho..."

- Haha ! Voilà une piste prometteuse. Llewella pourrait détecter Jhammthel et Nora l'enfermer avec ces pierres. Beau duo mère-fille. J'ai une furieuse envie de visiter Rebma. Bon, cela ne nous avance que d'un côté du problème. Je n'ai pas encore essayé de contacter Sand. Pensez-vous que quelqu'un d'autre pourrait nous aider à nous sortir de ce bourbier ?

Bénédict, toujours aussi loquace, complète :
- Tu peux faire confiance à Llewella. Nous devrons juste avoir en tête que plus nous nous éparpillons, plus Ambre est vulnérable. Étais-tu sérieux quand tu parlais de Florimel ?

En pleine réflexion, Tristan est surpris par la remarque de son oncle.

- "Heu... Llewella n'était pas en mission diplomatique auprès de Florimel justement ? Avec Martin ? Le trône de mon père serait donc en danger ? Sinon, pour celui de Merlin, il paraît opportun de contacter le spécialiste du Logrus parmi les Barimen. Dworkin."

Bérenger cherche dans les atouts de Brand la carte du bisaïeul. S'il la trouve, il la passe à Tristan.


- Florimel a organisé un blocus d'Ambre. A cette heure, Gérard doit être au régime sec. Elle a réussi à fédérer de nombreuses ombres du Cercle d'or. Toutefois, quand je suis parti, il n'y avait pas encore de manœuvre militaire. Je crois la situation encore dénouable, mais cela dépasse mes capacités diplomatiques. Ambre paye en partie son dédain des femmes de la famille. Heureusement, Deirdre s'en prend aux Cours.

Il y a en effet un atout de Dworkin.

Bénédict ne peut réprimer un petit rictus.
- Les loups sortent donc du bois...