Quelque part, Lystrella et Tristan

Bénédict accompagne les deux jeunes ambriens. Il donne un dernier conseil à Lystrella :
- N'oublie pas : à deux mains.

Tristan guide cette petite troupe à un endroit où sa cousine pourra utiliser la Marelle et s'éloigner. Au moment des derniers mots, presque des adieux, un cavalier apparaît à l'horizon...

Voulant impressionner son cousin, Bérenger lance Rouxpoil à fond de train, et fait tournoyer son bâton. Un air entraînant murmure à ses oreilles.

Un cavalier, qui surgit hors de la nuit,
Court vers l'aventure au galop...
Son nom, il le signe à la pointe d'un bâton,
D'un B qui veut dire Bérenger.

Bérenger, Bérenger,
Jeune ambrien rusé, qui fait sa loi.
Bérenger, Bérenger,
Dans la mouise, tu l'es à chaque fois.

Concentré sur Tristan, il ne prend pas le temps de vérifier qui l'accompagne. Il fait piler net sa monture aux pieds de son cousin.

- Alors, bande de petites fiottes, vous branlez quoi depuis le temps ?

Puis il reconnaît Bénédict et son visage se décompose.

le mauvais karma de Bérenger paraît évident.

Tristan avait laissé le cavalier s'approcher. Comme il avait suggéré à son père d'utiliser Victoire comme estafette, il s'attendait à avoir la visite d'une chasseresse blonde tôt ou tard. L'attaque d'un champion du Chaos était tout aussi probable, au vu de la situation - le jeune duc avait donc dégainé son atout de la Plage des Dodécapodes, au cas où...



Par contre, l'arrivée d'un vibrion roux restait tout-à-fait imprévisible. Les derniers événements ont entamé les réserves d'impassibilité du jeune duc. Une certaine surprise peut donc se lire sur son visage lorsqu'il réalise à qui il a affaire.

Sans remettre son atout dans son jeu, il répond à son ancien rival, d'abord avec hésitation - avant que sa courtoisie habituelle ne reprenne le dessus.

- "Heu... Bonjour, Bérenger. Nous avons trouvé de quoi nous occuper. Quel bon vent t'amène jusqu'ici ?"

Lystrella c'était mise sur la défensive. Cependant quand elle s'aperçut que le cavalier n'avait rien de démoniaque la pression retomba d'un cran. Elle salut toutefois son cousin amicalement. Ne pouvant s'empêcher de sourire da la vue de notre auguste parent.

- "Bonjour Bérenger."

Bénédict crispe sa mâchoire :
- Pardon ?

Bérenger fait comme si rien n'était. Il fait faire une révérence à Rouxpoil, tout en saluant lui-même en retirant son chapeau. Il descend de cheval, puis répond à Tristan.

- Je crains qu'il s'agisse plus d'une tempête que d'un doux vent printanier, cher cousin. Le Sorcier à l'origine des attaques contre Emetrios et moi maîtriserait un pouvoir primordial, antérieur à la Marelle. Il recherche mon père, qui aurait "emprunté" plusieurs sources de ce pouvoir, appelées Aiguilliers. Il ne faut surtout pas qu'il en récupère un, il deviendrait invincible.

Bérengère enlève ses gants, puis énumère sur ses doigts ses parents.

Bénédict est là, Bleys se cache du Sorcier, Corwin a disparu, Deirdre est de retour aux Cours, Fiona manigance dans son coin avec la Marelle, Florimel organise un blocus commercial contre Ambre, Gérard dirige la flotte d'Ambre pour contrer le blocus, Julian est parti à la recherche de Bleys, je n'ai pas de nouvelle de Llewella, et Random est au bord de la dépression. Voilà en gros les dernières nouvelles de la Cour.

De toute façon, Bérenger est arrivé à son dixième doigt et doit s'arrêter.

Arborant un sourire amer la fille de Cain fait un pas en avant.

- "Crowin n'a pas disparu, il a été enlevé par ton père et Clara lorsqu'ils ont fui l'ombre dans laquelle nous étions attaqué. Nous supposons que l'attaque de Fiona sur sa Marelle à eu de grave répercussions syr lui."

Tristan se tourne vers Bénédict. Il envisage un court instant de laisser son austère aîné gérer l'insupportable rouquin, mais se ravise aussitôt. Ignorant ostensiblement Bérenger, la pire insulte qu'il pouvait lui faire, il joue une fois de plus les médiateurs.

- "Mon oncle, vous avez sans doute oublié à quel point mon histrion de cousin pouvait être... maladroit. Il ne faut pas en prendre ombrage. Le pauvre est atteint depuis longtemps d'un syndrome inquiétant, dont les symptômes sont nombreux... Déficit de l’attention, hyperactivité, troubles obsessionnels compulsifs, et bien sûr coprolalie. Nul n'a jamais réussi à le soigner, pas même Fiona. C'est un fardeau que nous devons tous partager."

Sans laisser à quiconque le temps de l'interrompre, le fils de Random s'adresse à Bérenger. Il prend un malin plaisir à suivre la même liste que lui.

- "Lystrella a libéré Bénédict des geôles de la nouvelle famille de Deidre, comme notre cousine vient de te l'expliquer ton père a enlevé Corwin et nous a abandonné aux mains de nos ennemis, c'est moi qui est prévenu Random du retour de Deidre, Fiona a tenté d'effacer la Marelle de Corwin et il ne faut pas lui faire confiance, Random me tient au courant des manœuvres de Flora mais nous avons d'autres... chiens à fouetter, je souhaite bonne chance à Gérard, j'espère de même que Morgenstern piétinera bientôt ton père, Llewella est bien loin de mes préoccupations du moment, enfin je connaissais déjà la fatigue de notre roi, je te remercie de t'être éloigné de lui. Que dire d'autre ?  Ho, le Logrus s'est incarné dans le fils de Deidre, Orion, et veut conquérir le trône de Merlin. Lystrella et moi sommes accusés du meurtre de l'époux chaosien de Deidre, Vassily Euryale, malgré nos alibis - Lystrella libérait Bénédict, Cassandre essayait de me tuer. Je veux éliminer cette chienne enragée qui sert de fille à cette pauvre folle de Deidre... au plus vite. Cela étant dit, tes informations sur Jhammthel, l'invocateur de l'Abysse, sont extrêmement précieuses."

Désolé, je n'ai pas pu résister à une telle entrée en matière, le mauvais karma de Bérenger n'est qu'un alibi. Et c'est plus bête que méchant.

Bérenger s'appuie nonchalamment sur Rouxpoil. Si le discours de Tristan lui évite d'avoir la tête tranchée par Bénédict, il prend.

- J'avoue que ma langue va parfois plus vite que ma cervelle, dit-il en riant. Je suis heureux de vous voir en bonne santé. Félicitations pour votre sauvetage.

Bérenger se rembrunit.

- Je dois reconnaître que tout semble de la faute des rouquins. Mon côté de la famille semble maudit, mais ne les sous-estimes pas : Fiona n'a pas tenté mais a réussi, et Julian a autant de chance de retrouver Bleys que Rouxpoil d'être nommé au Conseil Royal.

La capitaine du Lys Carmin croiseles bras méfiante et parle à son cousin avec une légère note de dédain.

- "L'on se doute que votre père sera des plus dur à débusquer. L'alliance d'Orion le recherche activement mais pas que... Cependant j'aimerai constater moi même les dégâts causés par Fiona afin d'en avertir Merlin si possible. Nous avons cependant quelques pistes et je pense qu'il serait judicieux de mettre la main aussi sur Corail."

- Vous me mettez dans l'embarras, chère cousine. Puisque vous êtes déjà au courant de l'attaque de Fiona contre la Marelle de Corwin, je peux vous avouer qu'elle m'a ordonné de surveiller Merlin et d'empêcher par tout moyen qu'il recherche son père. C'est la raison de ma présence en ces lieux.

D'un autre côté, vous n'êtes pas Merlin, et je désapprouve les actions de Fiona, même si ses motivations sont logiques et qu'elle pense agir pour le mieux. Faîtes ce que vous voulez. Cependant, Fiona a embrigadé au moins un autre membre de la famille, et ses pièges sont fort dangereux. Je vous déconseille fortement de partir seule. L'éventuelle prison de Corwin recèlera bien des dangers.

Enfin, de mon point de vue, La Marelle de Corwin et le conflit au Cercle d'Or sont des sujets importants, mais secondaires. Nous devons nous concentrer d'abord sur l'élimination du Sorcier. Il sera temps ensuite de régler le problème d'Orion.

Bénédict intervient :
- Orion et ce Jhammthel sont liés. Il faut analyser leurs objectifs et comprendre dans quelle mesure ils convergent. S'ils n'ont pas exactement les mêmes ambitions, il est possible de les séparer.

Il observe ensuite Bérenger, d'un air désapprobateur, comme s'il pensait "Tant d'énergie gaspillée...".
- Ne joue pas sur les mots avec Fiona. Sauf si songes à ne jamais devenir père. Je pense qu'elle a eu raison de mettre Corwin hors jeu. Il se comporte comme un romantique trop gâté quand il est question de Deirdre.

La situation doit être grave, car Bénédict entame une troisième réponse :
- J'accompagnerai Tristan pour aider sa maison au mieux. J'ai une revanche à prendre.

Tristan a écouté avec attention les révélations de Bérenger. Il hoche la tête après la dernière phrase de Bénédict.

- "Je constate avec un certain soulagement que nous sommes d'accord, mon oncle. Avec toutefois une nuance : nous risquons d'avoir besoin de Corail et Merlin contre Orion, or ceux-ci semblaient préoccupés par la Marelle de Corwin. Je ne vois donc aucun inconvénient à ce que Lystrella parte à leur recherche. Elle est l'une des dernières personnes à les avoir vus !  Puisque l'absence de Merlin aux Cours se prolonge, il est possible qu'ils soient toujours ensemble..."

Le jeune prince fait un pas vers son téméraire cousin roux.

- "Quant à toi, Bérenger... J'ignore à quel jeu tu joues, mais à ta place je jouerais plus simplement. Le double jeu avec Fiona, c'est... risqué, même pour toi !  Mais si tu veux rester ici pour nous aider à nous débarrasser de ce sorcier, tu es le bienvenu."

- Vous savez, il s'agissait plus d'une forte suggestion, ressemblant nettement à un bon coup de pied au cul, du genre "Va voir aux Cours si j'y suis". Elle n'a aucune confiance ni respect envers moi. Si je suivais ses instructions, ce ne serait que la cerise sur le gâteau. Mes conversations avec Fiona se sont toujours terminées de cette manière, j'ai l'habitude.

Bérenger fait une drôle de tête, comme s'il pensait que Fiona devrait lui en vouloir pour une autre raison. Il reste cependant confiant, ce qui semble prouver une fois de plus une certaine folie dans cette branche de la famille. Bizarrement, une inquiétude se peint sur son visage à la mention de l'absence de Merlin.

- Pour une fois qu'un membre de notre famille me demande de l'aide ! Je m'empresse d'accepter. Notre oncle Bénédict a bien raison. Les objectifs du Sorcier semblent bien différents de ceux de Deirdre : il veut détruire la création de Dworkin, en commençant par Bleys.

Heu, je suis désolé de sauter du coq à l'âne, mais Merlin s'est absenté ? Je n'étais pas au courant. Cela change pas mal de choses. Avez-vous des détails ?

Les yeux de Bérenger s'écarquillent, comme s'il avait eu une brutale révélation.

Tristan cligne des yeux. Il commence à regretter son offre, tant son cousin est difficile à suivre.

- "Je peux juste te dire que, depuis le début de la guerre civile aux Cours, Merlin est absent... Hum... Pour être tout-à-fait clair, je ne suis pas sûr que tu aies bien compris, la rébellion est menée par une coalition hétéroclite. Deirdre sortie de l'Abysse. Jhammthel l'invocateur. Orion, le fils de Deirdre, le Logrus incarné. Les Hendrakes et les autres Maisons loyales à l'empereur ont subi de lourdes défaites, sans que Merlin se manifeste. Mais Lystrella lui a parlé. Tu peux nous en dire plus sur Merlin, cousine ?"

Lystrella regarde la progéniture de Bleys d'un au air stupéfait. Elle se méfie du personnage. Une éternité est passée depuis leur dernière rencontre, alors elle trouvait son insouciance rafraîchissante.

- "La dernière fois que j'ai croisé Merlin et la veuve de Rinaldo, ils prenaient le chemin du cercle d'or. Si cela ne vous dit rien ce n'est pas pour me rassurer. Ils devaient remettre le défunt roi sur le trône de Kafsha. Mais déjà lors de leur départ, le construct de l'empereur avait subit une sorte d'attaque. Ils font peut être partie de la longue liste des parents capturés, ce qui n'augurerait vraiment riende bon."

- En tout cas, c'est Jasra qui règne sur Kafsha, en tant que régente du futur héritier, l'enfant de Corail. Personne dans le Cercle d'or ne semble au courant du plan de Merlin, que j'avoue ne pas avoir compris non plus.

Bérenger semble au supplice, il machouille même sa moustache. Il finit par lâcher le morceau.

- La première attaque de Fiona contre la Marelle de Corwin a échoué. Vous savez tous quel est le moyen le plus sûr pour détruire une Marelle : utiliser le sang d'un descendant. La première tentative reposait sur un postulat erroné : la personne capturée s'est révélée ne pas descendre de Corwin. Or le seul fils certain de Corwin est Merlin. Et je confirme que la deuxième tentative a marché.

Tristan laisse échapper un juron. Il s'efforce de rester calme.

- "Je ne crois pas que tante Fiona soit capable d'éventrer un membre de la famille juste pour détruire une Marelle. Elle n'est pas aussi sanguinaire que son frère Brand. En revanche, capturer Merlin et lui prélever du sang... C'est une excellente chirurgienne et je sais qu'elle dispose d'un hôpital à la pointe de la magie et de la science, dans une de ses Ombres. Hum... Lystrella, à toi de voir si tu veux chercher Merlin ou Corail. Bérenger, choisi si tu veux l'accompagner ou rester avec nous. De notre côté, il semble que nous devions organiser la résistance face à Orion !"

Le jeune duc continue de parler, ou plutôt de grommeler, un ton plus bas.

- "Si nous pouvions parler à Dara, la mère de Merlin, ou à un de ses frères... Je crois que le suivant dans l'ordre de succession chez les Sawall est Despil, puis Jurt. Et il y a Mandor, aussi, le plus puissant sorcier de la Maison Sawall. Je me demande ce qu'ils fichent, tous, pendant qu'Orion prend le pouvoir !  Bref, nous avons trop de choses à faire en même temps. Trop de cibles à éliminer."

- " Salle sorcière ! Je me suis laissé si facilement détourné... En tout cas, cela ne change pas grand chose, il faut que je retrouve Merlin et Corail. Je pense chercher et essayer de libérer le premier cela me donnera peut être une piste pour la seconde. De plus c'est la moindre des choses vu que j'ai échoué dans la tâche qu'ils m'avaient assigné."

Benedict intervient :
- Tentons de contacter Merlin. Tristan a une bonne raison de le faire. Quoi qu'ait fait ma sœur, sa décision a été mûrement calculée.

Tristan hausse les épaules.

- "J'avais presque oublié... Oui, j'ai bien un atout de lui. Et d'excellentes raisons de le prévenir, encore que d'autres membres de sa Maison auraient pu l'avertir... Que font les Sawalls, au juste ?  Je ne comprends rien à leurs fichus intrigues !  Bref, je peux essayer, mais s'il se trouve trop près d'Ambre..."

Sans cesser de grommeler, l'artiste des atouts sort son jeu personnel, qu'il avait bien fait d'étoffer lors de son long séjour à la cour d'Ambre... il y a une éternité. Il sort l'atout de Merlin et se concentre.

Une fraction de seconde plus tard, Tristan relève les yeux.

- "Tenez-vous par la main. Bérenger, donne-moi l'autre. Nous sommes invités."