Réunion de famille impromptue

Lystrella se redresse à grand peine. Un éclair fulgurant la traverse. La blessure n'est certes plus béante, mais il va falloir un certain repos avant de pouvoir enchaîner de nouveau des passes d'armes. Elle arrive cependant à s'appuyer sur un de ses coudes mais pas au point d'envisager une position assise.

De son côté, Clara caresse d'un air songeur l'encolure de son dragon, en regardant la lune par le trou béant du sommet de sa tante. Elle lève un oeil vers sa cousine :
- "Ma foi, pourquoi pas. Mais j'ai tendance à vite privilégier des méthodes assez radicales pour soutirer des aveux... Je n'aime pas l'idée d'être un simple gibier : il faudra qu'elle parle."

Corwin et Bleys s'écartent légèrement, dans la partie moins éclairée de la tente, comme pour laisser leur place, tout en restant toutefois à portée pour entendre le contenu des échanges. Les deux se regardent en chien de faïence, à quelques mètres l'un de l'autre. Quelques secondes plus tard, Cassandre ouvre deux yeux emplis de haine et de colère. Elle reste menaçante, intimidante même, en dépit de ses liens et de son air échevelé.

Tristan suppose que c’est à lui de parler en premier. Au milieu de toutes ces furies, toute notion de galanterie paraît superflue. Le jeune prince offre son plus beau sourire à Cassandre, tout en jouant avec son jeu d’atouts, battant les cartes comme un croupier ou une voyante de foire.

- « Chère cousine... Je vous avais promis une discussion, la dernière fois que nous nous sommes parlés. Juste avant votre malheureuse entrevue avec Lystrella et Rinaldo. Nous y voilà. Vous auriez sans doute préféré davantage d’intimité ou de liberté de mouvement, mais je ne peux vous proposer mieux. Nous avons tant de sujets à aborder !  Commençons par le début. C’est-à-dire par votre naissance. Pourriez-vous nous parler de votre mère ?  Comment va-t-elle ? »

Le fils de Random exhibe l’atout de Deidre.

Cassandre fixe son cousin d'un air mauvais puis répond en souriant avec morgue :
- "Pour quelqu'un qui a été abandonné par sa famille, et plus particulièrement pas son frère qui soi-disant l'aimait tant, elle va plutôt bien je crois."
A ces mots, une tension supplémentaire se noue dans la pièce. Les regards se tournent, volontairement ou non, vers Corwin. Ce dernier fixe sa nièce, l'air médusé.

Cassandre reprend.
- "Mais étrangement, elle n'a pas l'air de trop vous en vouloir. L'éducation à la Obéron a l'air de vous avoir tous accoutumés à ce genre de manœuvres. Il semblerait que vos plus proches ennemis partagent vos palais ou vos couches. Le sourire s’agrandit encore quand elle enchaîne. Mais je serais vous, je viserais un interrogatoire plus efficace. J'ai bien peur qu'il ne dure très longtemps. Pour être tout à fait honnête, je vous suggère même de fuir la queue entre les jambes, comme d'habitude."

La fille de Deirdre a prononcé ces mots en regardant son cousin droit dans les yeux. Tristan se rend alors compte que l'atout est moite sous ses doigts et qu'un frisson glacé lui parcourt l'échine.

Lystrella fixe tant bien que mal sa cousine.

- "Alors Cassandre, quel est le but de cette vengeance ridicule si t'a mère est toujours de ce monde ? Et en quoi cela justifie-t-il que tu t'allies à la maison Euryale contre ton propre sang ?"

Cassandre fixe sa cousine sans sourciller.
- "Vengeance ? Vous êtes donc égocentriques à ce point ? Je n'ai que faire de vous... Et ne me parle de loyauté. J'en connais certains qui ont de nombreuses allégeances, même s'ils ne servent qu'eux-même, ajoute-t-elle en pointant Bleys et Tristan du menton. Puis, en regardant Lystrella, mais toi je t'aime bien. Tu devrais quitter cette Ombre, Ambre et retourner dans ton royaume, pendant qu'il existe encore..."

La fille de Caine sourit tendrement à sa cousine.

- "Allons que crois tu que nous risquons dans une ombre sous notre contrôle et entouré de deux de nos oncles ? Si tes alliés étaient si puissant ils raseraient Ambre sans tarder. Et puis que viendrait faire l'assassinat d'une de nos cousine, en désignant Clara du menton, dans un plan qui n'est pas pure vengeance comme tu semble le dire ?"

A l'expression "amour maternel", le sourire de Cassandre perd de sa morgue.
- Qu'en sais-tu ? Ambre m'a privée de ma mère et j'ai grandi sans connaître mes origines. Mais ce tort est réparé aujourd'hui. Nous nous serrons le coudes quoiqu'il arrive !

Clara se redresse, l'air exaspéré. Elle récupère une cuillère métallique au milieu du repas et en pose l’extrémité sur un brasero. Quand le métal commence à rougeoyer, elle lance à son cousin :
- Ici, quand quelqu'un s'est rendu coupable de tentative d'assassinat, nous l'énucléons puis nous le livrons au désert... Mais peut-être qu'un œil suffira pour lui dénouer la langue. Puis, fixant Cassandre : Parle chienne ! Pourquoi en voulez-vous à mon frère et à moi ?

A ces mots, Corwin se redresse et fait un pas vers ses nièces. Bleys lui pose une main sur l'épaule, comme pour le retenir. La tension augmente encore d'un cran.

Lystrella regarde Clara perplexe mais ne doute pas un seul instant qu'elle rechigne à mettre sa menace à exécution.

- Je doute, Clara, que la manœuvre soit d'une quelconque utilité si ce n'est de passer tes nerfs. "Puis se retournant vers Cassandre" : Je ne sais pourquoi mais j'ai l'affreuse sensation que notre chère cousine n'est qu'un pion dans ce jeu complexe. Peut être même à ses dépens quoi qu'elle en dise. Sûrement orchestré par les dirigeants de la maison en question...

Du fond de son fauteuil, Tristan tourne les yeux vers Cassandre. Il prend le temps de la réflexion...
Et voit Clara menacer Cassandre, puis Lystrella s'interposer.
Le jeune duc se relève pour se ranger du côté de la fille de Bleys.

Il entame un discours un brin provocateur, tout en s'attendant à être interrompu au beau milieu.

- "En ce qui me concerne, Clara peut mutiler cette péronnelle à son aise. Elle n'est pas aussi innocente que toi, Lystrella. Ou même aussi pacifique que moi. Elle a intrigué, trompé Corwin, assassiné Rinaldo, tenté d'enlever Clara pour faire chanter Bleys. Elle poursuit ses propres plans tout en composant avec ses alliés. Elle croit sans doute que ceux-ci viendront encore la sauver, puisque la pauvre petite fille abandonnée est incapable de se débrouiller seule. Elle devrait pourtant se méfier. Elle ne vient pas du pays enchanteur du bonheur et de l'harmonie !"

Pour souligner son propos, Tristan agite l'atout de l'ombre trouvé sur Cassandre.

Obéron peut interrompre les paroles de Tristan, je corrigerai mon message en mettant des points de suspension...

Tristan n'est pas interrompu.

Est-ce la nouvelle pique qui mort Cassandre encore plus profondément que la précédente ou la vue de l'atout dérobé ? Elle tente de se lever, en vain, même si les liens renforcés par magie se tendent. Ses jointures blanchissent quand elle sert les poings.
- Je n'ai aucune sentence à recevoir de toi, de vous ! Je suis même fière de savoir que mes proches viendront m'aider si nécessaire. Vous y voyez de la faiblesse... Ambre tombera donc de l'intérieur ! Puis vers Clara : Ton père te protège comme il protège ses secrets. Demande-lui pourquoi nous lui en voulons... Cette dernière grimace et fait mine de s'approcher, le métal chauffé à blanc dans la main. Cassandre semble se concentrer en vain, surprise que son armure ne vienne pas à sa rescousse. Son visage vire alors au blanc.

A ce geste qui lui rappelle probablement de mauvais souvenirs, Corwin, d'un mouvement d'épaule, se dégage de son frère et rugit :
- Ça suffit ! Clara, je te jure que si tu la touches... Cassandre, je veux rencontrer ma sœur, lui...
Les mots suivants ne franchissent pas la bouche du frère de Deirdre. Il se fige soudain et porte une de ses mains au visage, comme sous le coup d'une douleur à l'intensité inouïe. Tristan croise le regard de son oncle à travers ses doigts recroquevillés : ses yeux roulent dans les orbites, injectés de sang, comme s'il était victime d'une crise aiguë de folie ou d'un AVC. De son autre bras, il tente de se rattraper et fait tomber un autre brasero. Il pivote sur lui-même et fixe Bleys d'un air accusateur. Ce dernier montre ses deux mains ouvertes et prend l'air innocent du prestidigitateur pendant que son frère termine de se retrouver à quatre pattes, le corps agité de spasmes.

La fille de Cain regarde interloqué son oncle se tordre de douleur et guette la réaction de Cassandre et de Clara.

- Que ce passe-t-il encore ! Mon oncle ?! à l'attention de Bleys, y êtes vous pour quelque chose ?

Dans le même mouvement Lystrella, un peu prise de cours, se saisi de l'atout de Corwin pour vérifier, malgré ses maigres compétences, une intuition...

Lystrella blêmit et sort à la hâte une deuxième carte puis dans la précipitation laisse de côté le protocole tout en s'exprimant d'une voix forte habitué à donner des ordres sur un pont :

- Tristan ! Apprête toi à contacter Cassandre pour éviter sa fuite par atout, Bleys ! Crie-t-elle, Il nous faut nous rendre sur le champ a cet endroit, montrant ostensiblement à son oncle le dessin représentant une marelle à l'air libre figurant sur la carte qu'elle vient de sortir de son chemisier.

Les événements se précipitent et prennent une tournure... inattendue.

Lystrella sort un atout et le montre, à la limite de la panique, à Bleys. Simultanément, Tristan d'empare d'un pliant et l'abat, deux fois consécutives, sur le visage de Cassandre. Cette dernière chute, toujours attachée à son fauteuil, une large traînée de sang sur le tempe.

Le flamboyant sorcier esquisse un rictus, puis claque des doigts. Un projectile lumineux décolle et file à toute allure en laissant un sillon lumineux vers l'atout brandi qui s'allume tel un feu de Bengale. Surprise par l'action de Tristan, le sort de Bleys et la douleur au bout de ses doigts, La fille de Caine lâche le bout de carte qui termine de se consumer. Hébétée par le flash et la fumée, elle tente de se redresser mais est foudroyée par la douleur à l'endroit où Cassandre l'a transpercée.

Légèrement décalé, Tristan perçoit un peu mieux la scène. Il voit Bleys attraper Corwin par la ceinture pendant que sa fille lui pose la main sur l'épaule. Le trio disparaît au milieu de petites étincelles colorées. A l'extérieur, des cris retentissent : "On nous attaque !!!"

La fille de Cain cligne des yeux tout en plaquant sa main sur sa blessure. Elle fixe tour à tour l'emplacement désormais vide, son cousin puis sa cousine à terre.

- Mais qu'est-ce qu'ils ont tous les fichus "terriens" de cette famille ! Tristan nous ne devons pas rester là ni notre encombrent paquet... Dit elle en pointant la fille de Deirdre du menton.

Tristan laisse échapper une sorte de croassement rauque - en fait un mot d'un dialecte démoniaque pouvant être traduit par "poche à fiente" et servir aussi bien d'insulte que de juron.

Le jeune duc et ses deux cousines se retrouvent dans une vaste plaine poussiéreuse, près de la rive d'un fleuve d'apparence paresseuse. Devant eux, dans l'un des méandres du fleuve, se dresse un dôme gigantesque, d'un blanc de nacre. Les abords du bâtiment ont été nettoyés récemment.



Tristan pose Cassandre sur le sol, avec délicatesse. La magie qui empêchait son armure de lui obéir n'existe pas ici. Il grogne une brève explication à Lystrella, désignant le dôme.

- "C'était censé devenir mon atelier..."

Il pose les yeux sur Cassandre. Puis se baisse vers elle et agrippe son épaulière.

La fille de Cain ambrasse du regard l'endroit et reprend son souffle tiraillé par ses blessures.

- "J'espère que nous pourrons nous reposer un temps ici car je serai guère utile dans cet état. Il nous faudrait aussi des liens plus solide pour notre cousine car il me semble que Bleys les avaient renforcer de sa magie...."