Conversation d'atouts, Bérenger et Tristan

Les deux princes arrivent dans les jardins.
Plusieurs jardiniers entretiennent l'ensemble. L'agencement des allées et des bosquets n'est pas sans rappeler les jardins à la Française. Le lieu et l'atmosphère pourraient être rassurants mais même les serviteurs paraissent inquiets.

L'un d'eux, qui a pris l'habitude de voir Tristan poser son chevalet dans le jardin, s'approche des prince et leur adresse un salut respectueux :
- Chers Princes, c'est un plaisir.

Tristan se fend d'un sourire affable.

- "Mon père m'attend. Pourriez-vous me conduire à lui ?"

Bérenger chuchote à l'oreille de son cousin. 


- Ne devrions-nous pas nous mettre d'accord sur certains points, comme nos aînés en B ?

Le fils de Random lève un sourcil.

- "Soit. Chacun conserve l'exclusivité sur le sauvetage de son oncle en B. Quant à ton père, difficile de le défendre."

Bérenger hoche la tête. 

- Parfait. Au vu de la situation de mon père, un peu plus, un peu moins... 

Bérenger s'adresse au serviteur.


- Eh bien allons-y.

Les deux cousins sont accompagnés dans le palais. Dès qu'il croise un jeune serviteur, le jardinier l'envoie en vitesse prévenir le roi. Après quelques instants d'attente, ils sont conduits dans un des salons de travail favoris de Random : le plus élevé du château, avec deux ouvertures au Nord et à l'Est, et donc exposé à d'affreux courants d'air. Florimel déteste d'ailleurs se rendre dans cette pièce qu'elle surnomme "l’emmêloir".

Le roi est en train de lire un accord juridique au sujet des relations en Ambre et certains royaumes du Cercle.

D'un geste il indique deux sièges à son fils et son neveu tout en leur versant une boisson, probablement du café à l'odeur :
- Mettez-vous à l'aise. Je vous écoute.

Tristan s'assit du bout des fesses, raide comme la justice. Il ne laisse rien paraître de ses émotions.

- "Je suis venu aussi vite que j'ai pu. Je ne suis pas sûr que les informations dont je dispose vous soient très utiles. Avant de commencer... Votre frère, Bénédict, vous salue. Martin peut arrêter de le chercher. Lystrella et moi avons libéré notre oncle des geôles de Deirdre. J'avais plutôt prévu de négocier avec celle-ci, mais les circonstances en ont décidé autrement. Bref, Bénédict est à l'heure actuelle retenu aux Cours par certaines obligations, l'échec de ma mission diplomatique ayant eu des conséquence politiques et stratégiques fâcheuses.

En ce qui concerne ma tante Fiona... Ce que je sais m'a en grande partie été confié par Lystrella, qui nous rejoindra dès que possible. Je ne voudrais pas que votre sœur soit condamnée trop sévèrement à cause d'un témoignage de seconde main, surtout si un doute subsiste sur la mort de Corwin. Il me semble également opportun d'évoquer les intrigues de Bleys, a priori le complice de Fiona.

Cela étant dit...

Lystrella a été choisie par Merlin et Corail pour garder la Marelle de Corwin. Merlin lui a confié un atout de l'ombre où Corwin avait tracé sa Marelle, au cas où elle devrait s'éloigner temporairement.

J'ai découvert que Cassandre voulait enlever Clara pour faire pression sur Bleys, au profit d'un de ses alliés, Jhammthel. Un des représentants d'une antique race de sorciers, les Feynims, emprisonnés dans l'Abysse par Obéron et Dworkin. L'invocateur des chiens de l'enfer qui ont agressé certains des nôtres, dont Bérenger, le fils de Bleys, présentement assis à côté de moi. Bleys aurait dérobé de puissants anneaux magiques, les Aiguilliers, aux Feynims.

J'ai appris à Fiona que Clara était en danger. J'aurais dû me méfier. Fiona a profité de l'occasion pour distraire Lystrella de sa morne tâche et l'a envoyé au secours de sa cousine, tout en lui affirmant qu'elle monterai la garde elle-même. Votre sœur avait donc accès à la Marelle de Corwin. Je me permets d'insister sur ce point.

Je vous épargne quelques péripéties sans rapport avec le sujet. J'ai finalement retrouvé Bleys et je l'ai prévenu du péril qui menaçait sa fille. Nous avons rejoint Clara par atout. Pour découvrir Lystrella en train de protéger tant bien que mal la fille de Bleys de la fureur de Cassandre. Puis Corwin, à la recherche de la fille de Deirdre depuis des jours, est arrivé à son tour. Nous avons capturé Cassandre.

Alors que nous interrogions celle-ci, un de ses alliés a pénétré sur l'ombre de Clara et une alerte a été donnée. Au même instant, Corwin a eu un malaise et s'est évanoui. Lystrella a supposé que quelque chose était arrivé à la Marelle que Corwin avait tracée. Il semble y avoir un lien entre les Marelles et ceux qui les dessinent. La folie de Dworkin avait empiré quand Brand avait endommagé notre Marelle. Il est également possible que Corwin ait été victime d'un sortilège, les derniers mots qu'il a prononcés devant moi l'ont été... pour accuser Bleys.

Bref, Corwin est tombé. Lystrella a sorti l'atout de l'ombre de la Marelle de Corwin. Aussitôt, Bleys a lancé un sortilège pour détruire l'atout que tenait Lystrella. Un trait de feu, qui a brûlé presque toute la carte. Puis, Bleys a soulevé le corps inerte de Corwin et a tendu la main à Clara. Tous les trois ont disparu. J'ai senti que Fiona était en contact d'atout avec Bleys depuis un certain temps. C'est elle qui les a... évacués.

Lystrella, gravement blessée lors de son combat avec Cassandre, et moi-même avons ainsi été abandonnés aux mains de nos ennemis. Orion, le fils de Deirdre, qui a littéralement absorbé une partie du Logrus, était sur nous. J'ai à peine eu le temps de fuir, en saisissant un de mes atouts.

En conclusion... Un faisceau de présomptions - en partie confirmées par une certaine personne présente dans cette pièce - désigne Fiona et Bleys comme les conspirateurs ayant effacé la Marelle de Corwin, ce qui a pu provoquer la mort de celui-ci. Bien sûr, il est possible que ce soit l'inverse : Fiona a pu égorger Corwin au-dessus de sa Marelle pour effacer celle-ci.

Néanmoins, ce ne sont que des suppositions, des conjectures. Je peux juste vous confirmer que Fiona et Bleys ont eu l'occasion de commettre ce crime. Et que Fiona pourrait avoir un mobile, cette nouvelle Marelle menaçant l'équilibre entre la Marelle d'Ambre et le Logrus. Un sujet d'inquiétude récurrent, chez elle. Mais je n'ai aucune certitude. Je ne sais même pas si Corwin est vraiment mort.

D'ailleurs... Dois-je annoncer à Merlin, après mon retour aux Cours, que son père est vraiment décédé ?"

Tristan a regardé Random pendant toute la durée de son propos, en bougeant le moins possible, pas même pour incliner la tête vers Bérenger lorsqu'il évoque une tierce personne à proximité.

Tristan commence à connaître les signes qui indiquent la colère chez son père. Ce dernier se masse les tempes d'une main, entre le pouce et l'index.

- Je suis prêt à pardonner certaines choses à ma sœur, mais elle fait partie de ce groupe de personnes qui semble oublier qui est le roi. L'idée de la réunion de famille était d'elle. Evidemment, elle a présenté ceci d'une manière logique, à savoir réunir les descendants de Dworkin et Obéron, et éviter la mauvaise surprise de frères ou sœurs débarquant de nulle part, et protéger nos héritiers. Dans les faits, je réalise que la seule qui l'intéressait réellement était la lignée de Corwin : elle voulait savoir avec quel sang elle pourrait effacer sa Marelle. En effet, le notre ne fonctionne pas... Mon frère n'ayant que Merlin comme héritier, cela ne laissait donc que deux possibilités. Le père et le fils. On peut supposer que les événements récents lui ont fait craindre leurs disparitions prématurées et qu'elle a préféré agir. Contre mon avis.

Le roi n'oublie pas la présence de son neveu, qui commence pourtant à prendre une jolie teinte olive.
- Bérenger, tu as discuté avec Fiona. Que t'a-t-elle dit ?

Bérenger est très déçu que sa tentative de camouflage ait échoué. Il envisage un bref instant de simuler une attaque, ou de faire semblant d'être sourd-muet, avant de se résigner à parler.

- En préambule, je dois vous informer que je n'ait été témoin de rien. Je n'ai pas vu Bleys et Corwin depuis une éternité, et je n'étais même pas au courant de l'existence d'une deuxième Marelle.

Mon implication se limite à une courte conversation avec Fiona, qui m'a courtoisement demandé de porter un message à Merlin. Je ne peux que confirmer un intérêt certain pour la descendance de Corwin, notamment aux Cours du Chaos.

J'ai certes échangé ensuite mes impressions avec Tristan et Lystrella, mais cela ne reflétait qu'une simple opinion : si une deuxième Marelle existait, Fiona voudrait sûrement s'en débarrasser, afin de préserver l'équilibre cosmique.

Fiona ne m'a rien avoué, et ma mission aux Cours relevait sans doute plus d'un énième "va voir dehors si j'y suis" que d'un réel intérêt sur ce que je pourrais y faire.

Je dois concéder avoir fait l'intéressant devant Tristan et Lystrella, afin de gonfler l'importance de mes connaissances, tel une grenouille voulant se faire aussi grosse qu'un bœuf.

Tristan se contente d'ajouter quelques mots.

- "J'ai cru comprendre que notre tante souhaitait que Merlin se consacre à autre chose... qu'à la Marelle de son père."

Bérenger fait un vague signe de la main comme pour concéder le point à Tristan. 

- En même temps la guerre civile toque aux portes des Cours comme d'Ambre. Le moment paraît peu opportun pour affaiblir notre camp. Argument tout aussi opposable à Fiona.

Bérenger se renfonce dans son fauteuil. Il fait mentalement la liste des endroits où il préfèrerait être. Cela va prendre longtemps. 

Random soupire.
- Bleys, Fiona, ainsi que Brand ont déjà comploté par le passé. Je n'oublie pas leurs actions précédentes... Le premier est totalement injoignable, et est le dernier à avoir "vu" Corwin. Je sais que la seconde était avec lui après ce kidnapping, et que la seconde Marelle a ensuite été détruite. Quant au dernier, qu'il reste là où il est.

A l'évocation de ce frère, Random ne peut s'empêcher de frissonner.
- La question est donc : quelle est la décision qui renforce Ambre et mon autorité ?

Tristan hésite, regarde Bérenger du coin de l'œil puis répond.

- "Sommer Fiona de rendre Corwin, vivant ou mort, me paraît opportun. Ne serait que vis-à-vis de Merlin. Informer Fiona que ses intrigues n'ont pas empêché le Logrus de s'incarner dans un ennemi mortel d'Ambre - le fils de Deirdre - non plus. En fait, il faut lui démontrer qu'elle et son frère  Bleys ont davantage mis Ambre en péril qu'ils ne l'ont préservée... Et la punir en conséquence. Même si une prompte séparation du corps et de la tête à l'épée à deux mains serait un châtiment approprié... Encore que fusillée par les mousquetaires de Corwin... Hum... Bref, la sorcière pourrait malgré tout être plus utile vivante que morte. Par exemple en nous aidant à traquer les Feynims, féroces ennemis d'Ambre."

- Je suis d'accord avec Tristan. De plus, une amnistie générale envers tout parent éloigné vous jurant obéissance pourrait nous ramener des alliés. Je pense à Delwin par exemple.

Bérenger s'efforce de ne pas se tourner vers Tristan. 

Le fils de Random toussote.

- "Hum... Par exemple."

Random adopte une mine sombre.
- J'ai évidemment déjà pris le temps de discuter avec Fiona. D'après elle, son action doit servir à donner un gage au Logrus. Elle n'a pas agit pour prévenir une manœuvre issue des cours mais plutôt pour calmer le jeu. Elle souhaitait montrer que la course à l'armement n'était pas un objectif d'Ambre. Ma soeur prétend aussi que, même si le Logrus pensait le contraire, la Marelle de Corwin n'était pas une "alliée" d'Ambre. Elle affirme également ne pas savoir ce qu'est devenu le corps : elle a quitté les lieux dès que possible. Quant à l'amnistie, je commence à réaliser que le règne de mon père s'en passait fort bien, et qu'il a duré très longtemps... Pour certaines et certains, je ne suis encore que le petit frère.

Puis il fixe Bérenger :
- Pourquoi t'intéresses-tu à Delwin ? Et quand bien même, il n'a pas été banni. Théoriquement, il peut rentrer en Ambre quand il souhaite, pour peu qu'il me jure allégeance.

Bérenger est ravi de changer de sujet.

- Je vais compléter les propos de Tristan. Mon enquête sur Jhammthel m'a conduit vers les Aiguilliers. Ces artefacts sont puissants, mais ils rendent leurs porteurs dépendant d'eux et manipulent leurs émotions, au bénéfice des Feynims. Bleys en a récupéré plusieurs, c'est pourquoi Jhammthel veut le retrouver pour lui prendre ces anneaux, délivrer le reste de son peuple et détruire Ambre.

Delwin et Bleys sont les spécialistes des Aiguilliers, c'est du premier, qui se méfie du second, que je tiens mes informations. Il semble amer et paranoïaque, mais digne de confiance. Sans invitation, il ne fera pas le premier pas vers Ambre. C'est dommage, il est moins intoxiqué aux pouvoirs que les rouquins. Il suggère ainsi la destruction des Aiguilliers, trop dangereux pour être utilisés. Au fait, il paraîtrait que l'anneau royal en serait un.

Le jeune duc finit par tourner la tête vers son cousin. Il semble attendre quelque chose, qui ne vient pas. Il se résigne à enchaîner.

- "Une invitation officielle ne nous coûterait pas grand-chose et nous avons grand besoin d'alliés compétents dans certains domaines, tels que la sorcellerie... Puisque les descendants de Clarissa se sont révélés peu fiables. Bérenger pourrait remettre cette invitation en mains propres. Si Delwin confirme que votre anneau est un Aiguiller, vous devriez le remiser dès que nous aurons récupéré une certaine gemme.

Pour le reste... Une expédition pour rechercher Corwin ou son corps serait envisageable, d'autant que nous aurons besoin de l'aide son fils et qu'il serait difficile de condamner Fiona en l'absence de cadavre. Je ne sais pas si nous avons le temps de nous y consacrer. Mais je crois me souvenir qu'Obéron se débarrassait de ses enfants désobéissants en les envoyant en première ligne à la guerre. Votre sœur  prétendait amadouer le Logrus, or je peux vous garantir qu'elle a échoué. Le Logrus s'est incarné dans le fils de Deirdre ou celui-ci l'a absorbé, au moins en partie. Un exil dans les Cours, où Fiona pourrait affronter l'engeance de Deirdre avec l'aide de Bénédict, pourrait être une solution. Ha ! Si vos sœurs pouvaient s'entretuer... Toutes vos sœurs... Enfin, sauf Llewella, bien sûr."

La voix de Tristan devient amère à chaque fois qu'il évoque les enfants de Deirdre.

Le roi secoue légèrement la tête quand Bérenger parle des Aiguilliers.
- Je m'en suis entretenu avec Dworkin. D'après lui, les anneaux ne sont pas plus dangereux en eux-mêmes que n'importe quelle autre source de pouvoir, comme la Marelle ou le Logrus. Même si concernant ce dernier, le débat pourrait être ouvert. Ils donnent accès à une importante puissance et l'usage devient vite une drogue, mais pour les avantages que cela procure. Les porteurs que je connais, mis à part peut-être Merlin, font preuve de discernement. Et pour finir de vous rassurer, je ne porte jamais le mien. Dans l'absolu, les détruire a pour moi plus d'avantages que d'inconvénients.

Puis il se lève et s'approche de la fenêtre, contemple le palais à ses pieds :
- Mais demander à Delwin, voire à sa sœur, de nous rejoindre est une bonne idée. Même si son intégration ne débouche sur aucune aide directe, je pense que nos ennemis douteront un peu plus si nos rangs se densifient.

Il s'interrompt ensuite, pour ajouter d'une voix assurée :
- Tristan, je pense que tu as raison. Bannir Fiona et l'envoyer aux cours est une bonne idée. C'est à la fois une punition et renforce notre présence là-bas. Je doute qu'elle n'y reste les mains croisées.

Il se retourne ensuite et s'appuie négligemment sur le bord de la fenêtre :
- Merci pour tout ce que vous avez accompli. Je n'ai pas de tâche particulière à vous confier : tout est tellement urgent. Continuez à explorer les pistes que vous avez déjà ouvertes.

Tristan se relève.

- "Nous restons à votre disposition. Faut-il que nous escortions Fiona jusqu'aux Cours ?"

Bérenger se lève et s'esquive prestement. Il fait une révérence rapide, balaye distraitement le sol du plumet de son chapeau, recule, et recommence jusqu'à arriver à la porte. 


- Je vous remercie grandement de l'attention que vous avez porté à nos observations. Je dois rendre visite à quelques membres de notre famille qui pourraient nous aider. Je reste bien sûr entièrement disponible.

Bérenger stationne un instant sur le pas de la porte, le temps d'entendre le cas échéant les dernières directives de Random. 

Random hoche la tête vers Bérenger et lui adresse un sourire.
- Sois prudent.

Puis, vers son fils :
- Tristan, reste encore un peu. J'aimerais m'entretenir avec toi...

J'ouvre un sujet dans la section de Tristan. Je laisse Bérenger en ouvrir un et me dire ce qu'il fait dès qu'il quitte cette entrevue.