Bérenger, Lystrella, Tristan & guest, aux Cours

Les quatre Ambriens arrivent aux cours. A la cour même. Même si elle est déserte pour l'instant, il est aisé de deviner - pour ceux qui ne l'ont jamais vue - qu'il s'agit de la salle du trône. Le sol est de marbre noir et d'épaisses colonnades du même matériau donnent une impression de hauteur. Sentiment renforcé par l'absence de plafond, remplacé par d'intenses aurores boréales violettes. Entre les colonnes, des tentures représentant le Serpent et le blason de la maison Sawall alternent.

La salle n'est pas tout à fait vide. Merlin, accoudé négligemment sur le trône de basalte semblait en discussion avec une créature élémentaire, blizzard incarné. Le fils de Corwin est richement habillé, de pourpre et de gris, et porte le diadème qui témoigne de son rang. Il hoche la tête devant Bénédict, avec le respect du à un aïeul, puis fait un geste vers les nouveaux venus :
- Mère, vous connaissez déjà Tristan. Je vous présente également Bérenger, le fils de mon oncle Bleys, et Lystrella, qui d'après notre dernière conversation ne devrait pas être ici...

Celui qui le souhaite parle en premier.

Tristan offre à l'empereur et à sa redoutable mère sa plus belle révérence, qu'il termine en posant un genou à terre, comme un chevalier face à son suzerain - mais avec plus de grâce.

- "Vos majestés, je tiens d'abord à vous remercier de nous recevoir en audience privée, surtout de manière aussi impromptue. Nous avons de nombreux sujets à aborder. En ce qui me concerne, j'avais été envoyé aux Cours par le roi Random pour enquêter sur certaines attaques, dont plusieurs membres de la Cour d'Ambre ont été la cible. Je devais également préserver les intérêts de la Maison Zeydon. Je peux vous dire sans mentir que nous avons des ennemis communs. Deirdre Euryale, née Barimen. Jhammthel l'invocateur de l'Abysse. Orion Euryale, le fils de Vassily et de Deirdre, le Logrus incarné. Nous allons devoir les affronter, ensemble, j'espère. Mais si vous désirez aborder un autre sujet d'abord..."

Le jeune duc se relève et montre ses deux cousins.

- "Il vous faudra discuter avec Lystrella et Bérenger. Ils en savent davantage que moi sur ce qui a pu arriver à la Marelle de Corwin. Bérenger a également des informations précieuses sur Jhammthel, à ce que j'ai cru comprendre."

Bérenger lance un regard affolé à Tristan. L'introduction lui paraît un peu abrupte.

La vaseline, ça aurait aidé à passer.

Bérenger se fend d'une révérence impeccable, et balaye avec le plumet de son chapeau le sol devant le trône. Il se tourne d'abord vers Dara, mère de Merlin.

- Votre altesse, je suis très honoré de vous rencontrer.

Puis il se tourne vers Merlin.

- Votre majesté, mes informations sur Jhammthel l'invocateur sont de première main : j'ai brièvement visité son lieu d'exil, une poche de réalité ceinte dans l'Abysse. Je crains d'avoir moins de renseignements, et de seconde main, sur le sort de la Marelle de Corwin. Je suis bien sûr à l'entière disposition de vos majestés.

Bérenger fait un pas en arrière et deux de côté, pour laisser Lystrella en évidence. Son regard passe de l'empereur Merlin à sa mère Dara.

La fille de Cain avance d'un pas et exécute une révérence plutôt raide.

- "Votre majesté, il est vraie que lors de notre dernière rencontre j'avais hérité d'une tâche importante. Cependant  notre tante Fiona m'a détourné de cette mission afin que je porte secours à notre cousine Clara. Il ne lui aura pas fallu plus de temps pour s'attaquer à la Marelle de Corwin et d'après les dire de Bérenger, la détruire. J'ai essayé de vous contacter sitôt que j'ai eu des soupçons mais sans succès..."

Restant dans sa posture plutôt martiale, la jeune ambrienne fixe l'empereur légèrement irrité.

Il y a un froid glacial dans l'air. Peut-être est-ce lié à la forme élémentaire de Dara ? Cette dernière est scrutée très attentivement par Bénédict, qui n'a ni desserré les dents, ni exécuté le moindre geste protocolaire. Même si l'oncle est quelqu'un de taciturne, il n'est pas dans ses habitudes de se livrer à ce genre de provocations.

Aux énoncés de ses cousins, le visage de Merlin affiche un large spectre d'émotions, toutes négatives. Ce sont les dernières informations qui le poussent à briser le silence :
- La Marelle de mon père ? Mais il n'y a qu'un moyen d'en effacer une complètement... Il sort de sa ceinture un jeu d'atout mais est interrompu dans son geste par une une voix qui s'élève depuis la colonne de givre

- Mon fils, ton père et son joujou attendront. Tu as déjà perdu un temps précieux en allant courir au cercle. Écoutons d'abord ce que nos invités ont à nous apprendre. Deux yeux semblent se dessiner et se posent sur Tristan. Jeune prince, quelle est cette histoire... d'incarnation du Logrus ?
Sa voix est semblable à une averse de grêle sur une vitre.

Tristan se tourne vers la mère de l'empereur et hoche la tête.

- "Dame Sawall, je dois avouer que c'est également mon principal sujet de préoccupation, d'autant qu'Orion est tout près... La marelle de Corwin est loin et mes cousins n'ont que des présomptions, certes inquiétantes. Bref. Tout porte à croire qu'Orion est l'incarnation du Logrus. Ou qu'il a mutilé et absorbé une partie du Logrus.

La famille Euryale n'a longtemps compté aucun maître du Logrus digne de ce nom.
Le Logrus a cessé de fonctionner pendant une semaine. Comme si un fleuve s'était tari, avant que ses source ne le reconstituent peu à peu.
Mes espions m'ont rapporté que les Euryales disposaient maintenant d'au moins un puissant maître du Logrus.
Les yeux d'Orion Euryale brillent comme ceux du Serpent, ou comme le joyau du jugement.
Orion a vaincu Bénédict en duel, à la loyale, grâce à une férocité surhumaine."

Tristan reprend sa respiration, laissant quelques secondes à Merlin et à Dara pour réfléchir à cet argument.

- "L'odeur du Lorgus indispose les Maîtres de la Marelle. Je n'ai été confronté à Orion que deux fois, et encore, pas directement - j'étais face à sa demi-sœur, Cassandre, qui était en contact d'atout avec lui. Les deux fois, j'ai ressenti la puissance du Logrus jusqu'aux tréfonds de mes entrailles et j'ai manqué défaillir. J'ai pourtant l'estomac solide.
Les Euryales tentent de justifier leur inqualifiable rébellion par des raisons religieuses... Alors que le Serpent a choisi Merlin et qu'Orion est le propre fils d'une princesse d'Ambre, ils prétendent incarner la colère et la vengeance du Chaos, humilié par Ambre.
Ce pourceau de Vassily Euryale n'étant plus utile, il est éliminé, faisant d'Orion la tête de proue de la rébellion - et de Deirdre une veuve joyeuse.
Enfin, il faut reconnaître que certains agissements de Dworkin... Voire de la Marelle elle-même... Ressemblaient à des provocations.

Voilà donc ma théorie. Une partie au moins du Logrus, peut-être ses pulsions destructrices, s'est retrouvée dans le corps d'Orion. Je ne pense pas qu'Orion ait pour autant la bénédiction du Serpent. Comme il faut distinguer la Licorne de la Marelle... ou de Dworkin, il faut pas assimiler le Logrus au Serpent. Nous sommes des enfants du Chaos, nous savons que celui-ci est changeant et complexe. Orion a également pu utiliser un sortilège de Jhammthel, le sorcier de l'Abysse, pour mutiler le Logrus et s'accaparer sa puissance. Mais le Logrus pourrait avoir réagi de manière inappropriée à... un excès d'ordre. D'après Bérenger un rééquilibrage est en cours..."

Tristan réalise enfin, quoiqu'un peu tard, que sa démonstration dure depuis de trop longues minutes. Il la conclue en tapant dans ses mains.

- "... et nous sommes au milieu."

Bérenger est fort déconfit. Deux événements distincts : l'attaque contre la Marelle de Corwin et l'arrivée d'Orion, ont fait basculer l'équilibre d'un excès d'ordre à un excès de chaos. Autant annoncer les mauvaises nouvelles d'un coup. Et faire semblant qu'il a tout compris en mentionnant un certain terme. Il fait un pas en avant pour se poster à côté de Tristan.

- Jhammthel maîtrise un pouvoir antérieur à la Marelle, en lien avec les Aiguilliers. S'il en récupérait un, il deviendrait invincible. J'estime qu'il faut le tuer en premier pour affaiblir son camp. J'espère que sans ses sorts de soutien, Orion devienne prenable.

Bérenger fait un pas en arrière et une petite courbette pour signaler qu'il a fini mais est prêt à répondre à toute question.

Lystrella enchaîne derrière ses cousins tout en restant au même niveau de Tristan.

- "Vous vous rappelez de ce que dame Corail a décrit quand Rinaldo à été paralysé. L’émanation du chaos provient bien d'Orion. Ses yeux on une teinte rougeâtre et lorsque je suis rentré en contact avec lui j'ai été pris d'une violente nausée. Le reste nous l'avons déduis de nos information bien qu'il ne s'agisse que de suppositions."

Merlin est sonné, sous le choc des différentes révélations et ce qu'elles peuvent impliquer. Il jette un œil à son oncle qui se contente d'approuver de la tête.

Dara, par contre, absorbe les informations avec avidité, et apporte quelques précisions :
- Deirdre a été discrète au début mais se cache de moins en moins. Ses épousailles avec Vassily ne sont plus un secret mais elle prend soin de rester le plus en retrait possible des affaires politiques et militaires. Certains soutiens des Euryale contestent la légitimité de mon fils en mettant en avant ses origines ambriennes. Mais l'argument pourrait être retourné contre eux : Orion est à moitié ambrien également. Nous verrons comment se passe la succession.

La suite de sa tirade ressemble davantage à une réflexion à voix haute :
- Orion semble maîtriser le Logrus, et à un haut niveau d'après ce qui est rapporté. Je suis tout de même sceptique sur cette histoire d'incarnation... Je n'ai jamais entendu parler d'un tour de force équivalent. Même Dworkin n'était pas réellement l'incarnation de la Marelle, pas plus qu'Obéron.

Merlin enchaîne, d'une voix atone :
- Il y a plusieurs Aiguilliers. Mandor les a étudié, de même que ton père, ajoute-t-il en regardant Bérenger. Je sais également qu'un autre fils d'Obéron, nommé Delwin, est lié à eux de près ou de loin.

Bénédict l'interrompt :
- Delwin ? Il a quitté Ambre il y a de cela très longtemps, en mauvais termes.

Et Merlin reprend :
- Oui. Luke a essayé d'en faire un allié. En vain.

Tristan plisse les yeux. Décidément, les révélations se succèdent à un rythme effréné. Voilà maintenant l'empereur du Chaos qui évoque un obscur fils d'Obéron. En tant que peintre de la cour d'Ambre, Tristan connaît ce nom. Justement parce que tous les tableaux le représentant, lui et sa sœur, avaient été enlevés du château. Un évènement suffisamment rare pour titiller la curiosité du jeune prince. Mais les allusions sur des registres et les racontars des vieux courtisans ne lui avaient pas appris grand-chose. Les deux vivaient reclus sur l'ombre de leur mère, où le temps s'écoulait plus vite qu'à Ambre, après qu'Obéron ait été accusé de bigamie par les enfants de Rilga. Ils étaient a priori considérés comme des bâtards. Comment s'appelait la sœur, déjà ?  Et leur monde d'origine ?  Il a le mot sur le bout de la langue. Frustré, Tristan cherche dans sa mémoire... Une fils et une fille d'Obéron, énigmatiques... Deux nouvelles pièces, à placer sur l'échiquier... Pourraient-elles correspondre à certaines cases, dont Tristan n'avait pu identifier l'occupant ?

- "Excusez-moi de vous interrompre, votre majesté. Est-ce-que Delwin serait un métamorphe, par hasard ?  Et sa sœur, savait-elle dessiner des Atouts ?  Et appréciait-elle la couleur pourpre ? S'entendait-elle avec son frère ?"

Le jeune duc de l'île du levant se tourne vers Bénédict.

- "Mon oncle, avez-vous visité l'ombre de la mère de Delwin ?  Pourrait-elle ressembler à ceci ?"

En rougissant légèrement, parce que la coïncidence serait un peu grosse, Tristan sort l'atout qu'il a dérobé à Cassandre.

Bénédict observe les atouts et secoue négativement la tête :
- Non, je ne connais pas ces atouts. Quant à Delwin, certains de mes frères ou sœurs ont peut-être de vieux atouts.

Merlin s'approche à son tour :
- Je ne reconnais pas ce travail. Puis s'adressant ensuite à Lystrella, le regard dur :
- Que s'est-il passé exactement depuis que nous t'avons demandé de veiller sur la Marelle de mon père ?

A ces mots, Dara souffle d'un air exaspéré...

Tristan ne se démonte pas.

- "Votre majesté. Je vous en prie. Ne nous dispersons pas. Votre trône et nos Maisons sont menacés par une Deirdre rendu folle par son séjour dans l'Abysse, par le légitime propriétaire de ces Aiguilliers lui aussi apparemment sorti de l'Abysse, et par un rival voué à votre perte s'étant accaparé le pouvoir du Logrus. Je sais que cette alliance hétéroclite bénéficie de l'aide d'une mystérieuse Artiste des Atouts, vivant peut-être sur l'ombre dessinée sur cette carte. C'est elle qui a dessiné les Atouts de Cassandre, la fille de Deidre. Cette artiste n'apprécie pourtant pas notre tante. Le dos de ses cartes est pourpre. L'Atout de cet ombre est très important aux yeux de Cassandre. Je ne sais rien de plus. Mais ça pourrait correspondre à la sœur de ce Delwin. Comment s'appelait-elle, déjà ?!"

La fille de Cain fait de l'ordre dans ses idées et s'adresse à l'empereur.

- "Peut de temps après votre départ pour le cercle, notre tante Fiona à débarqué. Prevenu de ma disparition par Tristan. Elle m'a avertie du danger que courrait Clara, car Cassandre avait prévu de s'attaquer à elle. Tout en m'assurant qu'elle veillerait sur La Marelle pendant mon absence, elle m'a conduit ou l'attaque devait avoir lieu. Après le combat, votre père, que j'avais réussi à contacter et qui m'avait accompagné, à été pris d'une violente douleur au crâne, j'ai moi même ressenti un profond vide. Quand j'ai saisi de quoi il pourrait s'agir j'ai demandé à Bleys de l'aide pour me rendre auprès de la Marelle."

Joignant le geste à la parole, la jeune ambrienne sort le coin de carte noirci et le montre à l'assemblée.

- "Voilà le sort qu'à fait ce dernier à mon seul moyen de retour. Ensuite il s'est enfui par contact d'atout, emmenant Corwin et sa fille. Tristan m'a dit avoir senti la présence de Fiona lors de ce contact. Nous avons du fuir précipitamment car l'ombre où nous nous trouvions était attaquée. J'ai par la suite essayé de vous contacter sans succès. La suite des événements ne m'a pas permis de rejoindre l'ombre abritant la Marelle de Corwin jusqu'à maintenant. Par contre nous avons eu la chance de retrouver la trace de notre oncle, ici présent, et de le délivrer des geôles de la maison Euryale."

Bénédict répond à Tristan :
- Elle s'appelait Sand.

Pendant ce temps, Bérenger farfouille quelque chose. Dans le paquet, iIl y a plusieurs cartes qui représentent des individus qu'il ne connait pas. Certains d'entre eux ont tout même des airs de ressemblance avec la famille.

De son côté, Merlin écoute Lystrella attentivement et enchaîne :
- Fiona avait émis plusieurs fois l'idée d'étudier la Marelle de mon père, mais cette dernière se refusait à elle. Ma tante soutenait qu'une deuxième Marelle était une menace que le Serpent ne pouvait accepter : elle s'en est inquiétée à plusieurs reprises auprès de mon père et de Random. Je commence à comprendre maintenant pourquoi elle lui a soufflé l'idée de réunir toute la famille. Les serments de fidélité lui importaient peu, ce qui l'intéressait en fait était de voir si mon père avait d'autres descendants. Elle était en quête de savoir qui égorger sur le motif et je suppose donc que j'étais sur la liste. Je vois que les habitudes ont la vie dure... Et Bleys est encore dans le coup. Je mettrais également ma main à couper que je leur dois la disparition de ma roue spectrale.

Dara ne parle plus, probablement en train d'écouter avec attention. Sous sa forme élémentaire, il est difficile de savoir qui elle regarde, ce qu'elle entend, et quelle est l'expression de son visage. Elle finit tout de même par rompre le silence :
- Tristan, Bérenger, Lystrella et... grand-père - Bénédict grimace à cette allusion - nous ne pouvons pas vous imposer quoi que ce soit mais je pense que nous avons en effet des ennemis, et donc des intérêts, communs. Il y a plusieurs pistes à explorer... Aussi, je vous propose une alliance et une répartition des rôles.

Bérenger trie ses atouts, en sélectionnant ceux qui représentent de potentiels parents qu'il ne connaît pas.

- Je ne peux qu'asquiescer à de si sages paroles. Je serais fort honoré de participer de mon mieux à une alliance entre nos deux familles, d'autant que je m'entends fort bien avec les seigneurs Mandor et Jurt. Au sujet de Sand, j'ai à ma disposition de vieux atouts figurant des inconnus avec un air de famille. Mon oncle Bénédict, l'aîné des enfants d'Obéron, saura sûrement les reconnaître.

Il montre les atouts sélectionnés, dos des cartes vers lui, à Bénédict.

La capitaine du Lys Carmin croise les bras et reprend de l'aplomb bien que l'allusion au lien de parent qui lie Benedict à la mère de Merlin lui semble étrange. Mais bon elle a vu et entendu des choses bien plus tordu ces derniers temps...

- "Dame Sawall, je suis tout ouïe. Je comptais partir à la recherche de votre fils, craignant que ce fut lui qui fut, pour reprendre ses propres termes, égorgé sur la Marelle. Bien que je ne pense pas que j'aurai put empêcher Fiona d'arriver à ses fins, je me sens tout de même fautive. Bien sur l'entreprise de mes parents n'est pas lié à nos ennemis, du moins c'est ce que nous pensons. Mais il est clair que nous devons faire front commun."

Après sa déclaration elle s'intéresse à Bérenger et Benedict. Elle est curieuse de voir qui représentent les fameux atouts.

Tristan était perdu dans ses réflexions.

Citation :

Sand... Il se souvient de l'histoire, maintenant. Une ancienne dame de compagnie  de Rilga, la mère de Julian, Caine et Gérard, la lui avait racontée en long, en large et en travers, égayant par ses  médisances une interminable réception. Rilga avait vieilli avant l'âge, sans doute à cause des frasques d'Obéron. Elle s'était retirée dans un temple... Mais elle était encore en vie, a priori, lorsqu'Obéron avait épousé Harla dans une ombre située au-delà du Cercle d'Or, où les heures s'égrenaient plus rapidement qu'en Ambre. Ses deux enfants, Delwin et Sand, avaient été reconnus par Obéron mais étaient donc considérés comme illégitimes. Des bâtards. Toutefois, ce manque de considération n'était pas la seule raison de leur exil. La politique d'Obéron envers leur ombre natale ne leur convenait pas. Peut-être avait-il refusé de l'inclure dans le Cercle d'Or ?  En tout cas, ils avaient rompu les ponts avec le reste de la famille... et leur départ avait fait tant de remous que tous leurs tableaux avaient été décrochés dans le château. Raison pour laquelle cette anecdote l'avait tant intéressée à l'époque.

Sand pourrait correspondre à l'énigmatique artiste qui avait dessiné les Atouts de Cassandre. Une femme. Qui n'aimait guère Deirdre. Qui vivrait recluse dans une ombre. Qui aurait de bonnes raisons d'en vouloir à Ambre. Et de sympathiser avec Cassandre, que cette chienne enragée crève dans d'indicibles douleurs. L'image d'un fer porté au rouge transperçant l'œil injecté de sang de la fille de Deirdre s'impose dans son esprit, lui offrant quelques secondes de jubilation malsaine.

Par contre, plus il y pense, moins Delwin cadre avec le reste du tableau. Si Jhammthel veut récupérer ses Aiguilliers, quoi que cela puisse être, et si Delwin en possède aussi... Les deux devraient être rivaux plutôt qu'alliés. Un pouvoir antérieur à la Marelle ?  Le mot aiguillier ne lui dit rien. Un artisan fabriquant des aiguilles ?

Décidément, il faut rajouter Delwin et Sand à la liste des personnes sur qui enquêter. Avant Corwin et sa Marelle, notamment...

Le duc de l'Île du Levant se retient d'applaudir quand Dara reprend la parole. La rumeur voulait que son fils ne soit qu'une marionnette entre ses mains. Si seulement c'était vrai !

Tristan se tourne donc vers la mère de l'empereur et fait une nouvelle révérence. Il choisit dans son répertoire un mouvement respectueux mais enjoué précédant une danse, plutôt que la grande révérence réservée à son suzerain. Il laisse ainsi le temps à Bérenger et Lystrella de parler. Il ne peut s'empêcher de penser à un moyen de les museler. Pour des raisons différentes, ses deux cousins aux cheveux de feu font de piètres diplomates.

Sans se laisser distraire par les Atouts de Bérenger, même s'il lui en coûte tant la curiosité le dévore, il accorde toute son attention à Dara.

- "Dame Sawall, vous n'avez pas besoin de proposer une alliance, ma loyauté vous est acquise, dans la seule limite que celle que je dois déjà à mon père, Random. La maison Zeydon sera soulagée d'apprendre le retour de l'empereur légitime, tant son absence avait semé le trouble parmi ses plus fidèles partisans. Il serait opportun que celui-ci se montre, même si cela doit différer certains de ses projets. Quant à la répartition des rôles... Il faut enquêter sur Jhammthel, Delwin et Sand, une entrevue avec Messire Suhuy Sawall au sujet du Logrus et d'Orion paraît judicieuse - j'ai déjà demandé à l'un de mes cousins de la maison Zeydon de vérifier la date à laquelle il se serait présenté pour traverser les Cavernes du Logrus. Je me tiens à votre disposition. Je ne demande à dire vrai qu'une faveur : que Cassandre ne soit pas épargnée."

Il est probable que Dara scrute son fils quand elle lance :
- Oui. L'Empereur doit se montrer. Si la maison Zeydon, et ses soutiens, renouvelle leurs serments cela pourrait être un point important et montrer que tous les rats ne quittent pas le navire. Par contre, nous ne pourrez pas voir Suhuy. Il a indiqué clairement qu'il ne pouvait, ni ne voulait, être dérangé. Elle ajoute, d'une voix plus douce : Si c'est possible, tu seras celui qui transpercera le cœur de Cassandre...

Merlin grimace quand sa mère semble prendre les décisions à sa place. Il s'apprête à prendre la parole mais se ravise. Une partie du linge sale sera lavé en privé.

Au même moment, Bénédict regarde les atouts que Bérenger lui tend. Quand Lystrella s'apprête à faire la curieuse, il lui jette un regard glacé qui la cloue sur place. Il extrait deux cartes.
- Voici Delwin. Et Sand. Avant que Bérenger n'esquisse une réaction,il sort deux cartes supplémentaires . Je garde celles-ci.
L'oncle scrute ensuite l'assemblée et énonce d'une voix autoritaire :
- J'accompagne Tristan auprès des siens. Bérenger suivra la piste des aiguilliers. Lystrella explorera l'Ombre représentée sur l'Atout de Cassandre.

Il y a comme un froid après la prise de parole de Bénédict. Dara n'a pas réellement l'habitude qu'on lui ordonne la marche à suivre. Son fils se permet un sourire. Victoire par procuration.

La flamboyante rouquine se fige un cours instant puis se détend. Après tout elle préfère recevoir des ordres d'un représentant de Ambre, plutôt que d'être assigné à une tâche par les dirigeants des Cours, pour qui elle n'a aucune allégeance. Bien sûr tout ceci est plus complexe et bien plus vaste que les notions d'honneur et de fidélité auxquels elle se s'attache encore par habitude. Cependant il faut savoir s'adapter sinon jamais l'on ne navigue.

Elle tend une main vers Tristan avec un sourire.

- "Nos adieux aurons été plus long et mouvementés que prévu, comme d'habitude dans un sens. Je te souhaite bon vent mais je te sais en de bonnes mains, les meilleures qui soit." Elle esquisse une légère révérence envers son oncle si taciturne.

Puis s'approche de Bérenger à pas feutrée le temps que tout le monde réagisse aux ordres de Benedict.

Je suppose que Bénédict a enlevé les atouts d'Osric et Finndo.

La  mission  de Bérenger est donc d'enquêter sur les aiguilliers. Il est vrai qu'il en est un grand spécialiste : il connait le mot... Quelle bonne blague ! Bon, quand Bénédict donne un ordre, il faut serrer les fesses et le suivre. Il y a plusieurs avantages néanmoins : la Marelle de Corwin passe au deuxième plan pour l'instant, et son père est lié aux Aiguilliers.

Bérenger accepte le cadeau de son cousin.

- Je te remercie, Tristan. Si nous avons un peu de temps, tu pourrais aussi me tirer le portrait.

Bérenger se tourne vers le trône.

- J'ai besoin de contacter des spécialistes : le seigneur Mandor, s'il est près d'ici, et mon oncle Delwin. Vos Majestés, sauriez-vous si le seigneur Mandor pourrait m'accorder une entrevue ?